Interview de Manon Quérouil
à (ré)écouter sur FRANCE INFO - Le player -
Modes de vie
par Rédaction de France Info
La communauté copte s'organise face aux disparitions récurrentes de femmes. Une association de volontaire organise la résistance : enquêtes de voisinage, rondes de surveillance sont mises en place. Des disparues retrouvées témoignent malgré les risques encourus.
Modes de vie
s'intéresse, ce vendredi, à ces centaines de femmes coptes, victimes
d'enlèvement et de disparition, mariées de force à un musulman,
converties à l'islam. Les familles de ces femmes chrétiennes sont sans
nouvelle parfois depuis des années, de leur fille ou leur mère et s'en
inquiètent, sans trouver véritablement d'aides des pouvoirs publics.
Dans Modes de Vie, Manon Quérouil auteur du reportage Les disparues d'Égypte pour le magazine Marie-Claire
nous raconte comment elle a rencontré un jeune homme à l'origine de
l'association des victimes d'enlèvements et de disparitions forcées. La
journaliste a réussi par exemple à rencontrer à Alexandrie une jeune
femme qui a été kidnappée. Le calvaire de la jeune femme dure quatre
mois.
Le but de ses enlèvements serait d'après la communauté copte
de convertir les chrétiens à l'islam. Les coptes représentent 10% de la
population en Égypte.
Les disparues d'Egypte
le Vendredi 5 Juillet 2013 à 14:45
Manon Querouil :« C'est
une phénomène qui prend de l'ampleur en Égypte des disparitions de
femmes coptes qui ne cessent de se multiplier et face à l'inaction de la
police égyptienne, la communauté copte a décidé de s'organiser. C'est
un jeune homme qui s'apelle Ebram Louis qui a prit la tête d'une
association de volontaire qui fonctionne sans aucune aide financière et
uniquement grâce à la bonne volonté des personnes qui la compose. C'est
d'ailleurs dans le salon de ce jeune homme que s'organise la résistance,
qui abrite son bureau.
Forcément ces volontaires, souvent très
jeunes, travaillent avec les moyens du bord. Ils font des enquêtes de
voisinage et compilent sur un coin de table les cas de disparitions. Ils
font des rondes de surveillance pour tenter de retrouver la traces des
disparues. C'est un petit peu tout ce qu'ils peuvent faire ».
France Info :
« Parmi tous les témoignages que vous avez recueillis, il y en a un qui
est assez exceptionnel, c'est celui d'une femme kidnappée... »
Manon Querouil :
« Oui, c'est vrai que ce sont des témoignages qui sont difficiles et
compliqués à obtenir parce que d'une part les disparues qui refont
surface sont très rares, et qu'en même temps elles prennent un risque à
témoigner, donc pour moi, elles sont assez réticentes à se laisser
faire. Nous avons réussi à rencontrer dans la ville d'Alexandrie une de
ces jeunes femmes qui a accepté de nous raconter son histoire sous
couvert d'anonymat. Elle raconte qu'un matin de janvier de l'année
dernière on sonne à la porte, elle ouvre et aussitôt deux hommes lui
sautent dessus, la bâillonne et la couche dans une voiture. Elle roule
longtemps dans la campagne et elle n'a aucune idée de l'endroit où on
l'amène. Elle se retrouve dans une maison un peu perdu où elle est
surveillée en permanence par une femme intégralement voilée,
raconte-elle, et où des hommes viennent tous les jours tenter de la
convertir et de lui faire prononcer la profession de foi musulmane. Elle
refuse et chaque fois qu'elle résiste elle est battue. Son calvaire
dure 4 mois. Un matin deséspérée, elle tente de s'ouvrir les veines et
c'est finalement ça qui va la sauver, parce que sa gardienne panique et
la jette dehors. »
France Info : « Ceux qui se trouvent derrière ces enlèvements considèrent, dites-vous, que c'est leur mission de convertir ces femmes. »
Manon Querouil :
«Oui, aux yeux de la communauté copte ces enlèvements relève en fait
d'un prosélytisme plus général dont le but serait de convertir les
chrétiens à l'islam. Certains islamistes intégristes considèrent que
convertir les femmes en les mariant de force est un devoir religieux au
même titre par exemple, que de faire le djihad. »
France Info : « Au delà des femmes en fait c'est toute la communauté copte qui est visée à travers ces disparitions. »
Manon Querouil :
« Oui, la situation des coptes en Égypte qui représentent environ 10%
de la population n'a jamais été très enviable et les frictions entre les
2 communautés chrétiennes et musulmanes ne datent pas d'hier. Ça fait
quelques années déjà que les chrétiens s'insurgent contre la
discrimination dont ils s'estiment victimes. Contre le fait par exemple
qu'ils soient sous représentés dans le gouvernement, mais les tensions
se sont accentuées depuis le printemps arabe et l'arrivée au pouvoir des
frères musulmans l'an dernier. Depuis on assiste à une progressive
islamisation de la société et les associations internationales dénoncent
un manque criant de protection des minorités par le gouvernement. La
situation est tendue et beaucoup d'observateurs craignent qu'elle ne
débouche à plus ou moins long terme sur une guerre civile. »
France Info :
« Justement, au niveau de l'attitude des autorités, les familles n'ont
pas l'air d'être très aidée même s'il y a de temps en temps un procès »
Manon Querouil :
« Les rares procès qui se tiennent se concluent presque toujours par un
non lieu, le juge estimant que les femmes enlevées, ce sont en fait
mariées de leur plein gréé avec des musulmans. Du coup les familles ont
le sentiment d'être traitées en citoyen de seconde zone, que leurs
paroles et leurs tragédies ne pèsent rien ; et que la police et la
justice égyptienne prennent systématiquement le parti du kidnappeur
musulman. Donc certains coptes vont même plus loin et parlent d'un vaste
complot islamiste qui serait financé à coup de pétrodollar par les pays
du Golfe comme le Quatar ou l'Arabie Saoudite et dont le but ultime
serait d'éradiquer les chrétiens d'Orient. Parmi les défenseurs de cette
théorie, personne sur le terrain n'a pu m'apporter de preuves concrètes
pour les payer. Reste que les coptes d’Égypte sont aujourd'hui en
danger et que plus de 100 000 d'entre eux ont déjà pris le chemin de
l'exil. »
France Info : « Un prêtre apporte son témoignage dans votre reportage, il accuse clairement les frères musulmans. »
Manon Querouil :
« Il les accuse encore une fois, il n'a pas de preuve concrète à
apporter à cette théorie. Je crois que ce qu'il faut retenir de cette
histoire qui est compliquée et un peu embrouillée aussi sur le terrain,
en dépit de ces témoignages et en dépit de ces disparitions, c'est cette
tension croissante entre les deux communautés, qui à terme peut faire
craindre un scénario catastrophe. »
France Info : « Il y a l'avant Moubarak et l'après Moubarak ? »
Manon Querouil : « Clairement, et à la fois pour les coptes, pour les minorités et pour les femmes qui sont la minorité de la minorité ».
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